L'HOMME QUI PLANTAIT DES ARBRES
The Man Who Planted Trees
JEAN GIONO
J'ai vu Elzéard Bouffier pour la dernière fois en juin 1945. Il avait alors quatre-vingt-sept ans. J'avais donc repris la route du désert, mais maintenant, malgré le délabrement dans lequel la guerre avait laissé le pays, il y avait un car qui faisait le service entre la vallée de la Durance et la montagne. | I saw Elzéard
Bouffier for the last time in June of 1945. He was then eighty-seven
years old. I had once more set off along my trail through the
wilderness, only to find that now, in spite of the shambles in which the
war had left the whole country, there was a motor coach running between
the valley of the Durance and the mountain. |
J'ai vu Elzéard Bouffier pour la dernière fois en juin 1945. Il avait alors quatre-vingt-sept ans. J'avais donc repris la route du désert, mais maintenant, malgré le délabrement dans lequel la guerre avait laissé le pays, il y avait un car qui faisait le service entre la vallée de la Durance et la montagne. | I saw Elzéard Bouffier for the last time in June of 1945. He was at the time eighty-seven years old. I was then back on the trail through the wilderness, only (to find that) now, in spite of the shambles in which the war had left the country, there was a motor coach that was running between the valley of the Durance and the mountain. |
Je mis sur le compte de ce moyen de transport relativement rapide le fait que je ne reconnaissais plus les lieux de mes dernières promenades. Il me semblait aussi que l'itinéraire me faisait passer par des endroits nouveaux. J'eus besoin d'un nom de village pour conclure que j'étais bien cependant dans cette région jadis en ruine et désolée. Le car me débarqua à Vergons. | I set down to this relatively rapid means of transportation the fact that I no longer recognized the landmarks I knew from my earlier visits. It also seemed that the route was taking me through entirely new places. I had to ask the name of a village to be sure that I was indeed passing through that same region, once so ruined and desolate. The coach set me down at Vergons. |
Je mis sur le compte de ce moyen de transport relativement rapide le fait que je ne reconnaissais plus les lieux de mes dernières promenades. Il me semblait aussi (impersonal form) que l'itinéraire me faisait passer par des endroits nouveaux. J'eus besoin d'un nom de village (I needed) pour conclure que j'étais bien cependant dans cette région jadis en ruine et désolée. Le car me débarqua à Vergons. | I set down to this relatively rapid means of transportation the fact that I no longer recognized the places from my last visits. It also seemed to me (impersonal form) that the route was taking me through some new places. I had to (see) the name of a village to conclude that I was indeed in that region, once in ruin and desolate. The coach set me down at Vergons. |
En 1913, ce hameau de dix à douze maisons avait trois habitants. Ils étaient sauvages, se détestaient, vivaient de chasse au piège : à peu près dans l'état physique et moral des hommes de la préhistoire. Les orties dévoraient autour d'eux les maisons abandonnées. Leur condition était sans espoir. Il ne s'agissait pour eux que d'attendre la mort : situation qui ne prédispose guère aux vertus. | In 1913, this hamlet of ten or twelve houses had had three inhabitants. They were savages, hating each other, and earning their living by trapping : Physically and morally, they resembled prehistoric men . The nettles devoured the abandoned houses that surrounded them. Their lives were without hope, it was only a matter of waiting for death to come : a situation that hardly predisposes one to virtue. |
En 1913, ce hameau de dix à douze maisons avait trois habitants. Ils étaient sauvages, se détestaient, vivaient de chasse au piège : à peu près dans l'état physique et moral des hommes de la préhistoire. Les orties dévoraient autour d'eux les maisons abandonnées. Leur condition était sans espoir. Il ne s'agissait pour eux que d'attendre la mort : situation qui ne prédispose guère aux vertus. | In 1913, this hamlet of ten or twelve houses had had three inhabitants. They were savages, hated each other, were earning their living by trapping : somehow in the physical and moral condition of prehistoric men . The nettles devoured around them the abandoned houses. Their lives were without hope. It was , for them, only a matter of waiting for death (to come) : situation that hardly predisposes to virtue. |
Tout était changé. L'air lui-même. Au lieu des bourrasques sèches et brutales qui m'accueillaient jadis, soufflait une brise souple chargée d'odeurs. Un bruit semblable à celui de l'eau venait des hauteurs : c'était celui du vent dans les forêts. Enfin, chose plus étonnante, j'entendis le vrai bruit de l'eau coulant dans un bassin. Je vis qu'on avait fait une fontaine, qu'elle était abondante et, ce qui me toucha le plus, on avait planté près d'elle un tilleul qui pouvait déjà avoir dans les quatre ans, déjà gras, symbole incontestable d'une résurrection. | All that had changed, even to the air itself. In place of the dry, brutal gusts that had greeted me long ago, a gentle breeze whispered to me, bearing sweet odors. A sound like that of running water came from the heights above : It was the sound of the wind in the trees. And most astonishing of all, I heard the sound of real water running into a pool. I saw that they had built a fountain, that it was full of water, and what touched me most, that next to it they had planted a lime-tree that must be at least four years old, already grown thick, an incontestable symbol of resurrection. |
Tout était changé. L'air lui-même. Au lieu des bourrasques sèches et brutales qui m'accueillaient jadis, soufflait une brise souple chargée d'odeurs. Un bruit semblable à celui de l'eau venait des hauteurs : c'était celui du vent dans les forêts. Enfin, chose plus étonnante, j'entendis le vrai bruit de l'eau coulant dans un bassin. Je vis qu'on avait fait une fontaine, qu'elle était abondante et, ce qui me toucha le plus, on avait planté près d'elle un tilleul qui pouvait déjà avoir dans les quatre ans, déjà gras, symbole incontestable d'une résurrection. | Everything was changed. The air itself. In place of the dry and brutal gusts that had greeted me long ago, a gentle breeze was blowing, bearing (sweet) odors. A sound like that of (running) water was coming from the heights: It was that of the wind (the sound of the wind) in the forests. Finally, more astonishing thing (of all), I heard the real sound of (the) water running into a pool. I saw that they had a fountain built, that it was full of water, and what touched me most, they had planted next to it a lime-tree that must already be round about four years old, already fat, an incontestable symbol of resurrection. |
Par ailleurs, Vergons portait les traces d'un travail pour l'entreprise duquel l'espoir était nécessaire. L'espoir était donc revenu. On avait déblayé les ruines, abattu les pans de murs délabrés et reconstruit cinq maisons. Le hameau comptait désormais vingt-huit habitants dont quatre jeunes ménages. Les maisons neuves, crépies de frais, étaient entourées de jardins potagers où poussaient, mélangés mais alignés, les légumes et les fleurs, les choux et les rosiers, les poireaux et les gueules-de-loup, les céleris et les anémones. C'était désormais un endroit où l'on avait envie d'habiter. | Furthermore, Vergons showed the signs of labors for which hope is a requirement : Hope must therefore have returned. They had cleared out the ruins, knocked down the broken walls, and rebuilt five houses. The hamlet now counted twenty-eight inhabitants, including four young families. The new houses, freshly plastered, were surrounded by gardens that bore, mixed in with each other but still carefully laid out, vegetables and flowers, cabbages and rosebushes, leeks and gueules-de-loup, celery and anemones. It was now a place where anyone would be glad to live. |
Par ailleurs, Vergons portait les traces d'un travail pour l'entreprise duquel l'espoir était nécessaire. L'espoir était donc revenu. On avait déblayé les ruines, abattu les pans de murs délabrés et reconstruit cinq maisons. Le hameau comptait désormais vingt-huit habitants dont quatre jeunes ménages. Les maisons neuves, crépies de frais, étaient entourées de jardins potagers où poussaient, mélangés mais alignés, les légumes et les fleurs, les choux et les rosiers, les poireaux et les gueules-de-loup, les céleris et les anémones. C'était désormais un endroit où l'on avait envie d'habiter. | Furthermore, Vergons showed the signs of labors for the undertaking of which hope was required. Hope had therefore returned. They had cleared out the ruins, knocked down the broken walls, and rebuilt five houses. The hamlet now counted twenty-eight inhabitants, including four young families. The brand new houses, freshly plastered, were surrounded by gardens where grew, mixed but in lines, vegetables and flowers, cabbages and rosebushes, leeks and gueules-de-loup, celery and anemones. It was now a place where one would feel like living. |
A partir de là, je fis mon chemin à pied. La guerre dont nous sortions à peine n'avait pas permis l'épanouissement complet de la vie, mais Lazare était hors du tombeau. Sur les flans abaissés de la montagne, je voyais de petits champs d'orge et de seigle en herbe; au fond des étroites vallées, quelques prairies verdissaient. | From there I continued on foot. The war from which we had just barely emerged had not permitted life to vanish completely, and now Lazarus was out of his tomb. On the lower flanks of the mountain, I saw small fields of barley and rye; in the bottoms of the narrow valleys, meadowlands were just turning green. |
A partir de là, je fis mon chemin à pied. La guerre dont nous sortions à peine n'avait pas permis l'épanouissement complet de la vie, mais Lazare était hors du tombeau. Sur les flans abaissés de la montagne, je voyais de petits champs d'orge et de seigle en herbe; au fond des étroites vallées, quelques prairies verdissaient. | From there I made my way on foot. The war from which we had just barely emerged had not permitted the full development of life, but Lazarus was out of the tomb. On the lower flanks of the mountain, I saw (some) small fields of unripe barley and rye; in the bottoms of the narrow valleys, some meadowlands were turning green. |
Il n'a fallu que les
huit ans qui nous séparent de cette époque pour que tout le pays
resplendisse de santé et d'aisance. Sur l'emplacement des ruines que
j'avais vues en 1913, s'élèvent maintenant des fermes propres, bien
crépies, qui dénotent une vie heureuse et confortable. Les vieilles
sources, alimentées par les pluies et les neiges que retiennent les
forêts, se sont remises à couler. On en a canalisé les eaux. A côté de
chaque ferme, dans des bosquets d'érables, les bassins des fontaines
débordent sur des tapis de menthes fraîches. Les villages se sont
reconstruits peu à peu. | It has taken only the eight years that now
separate us from that time for the whole country around there to blossom
with splendor and ease. On the site of the ruins I had seen in 1913
there are now well-kept farms, the sign of a happy and comfortable life.
The old springs, fed by rain and snow now that are now retained by the
forests, have once again begun to flow. The brooks have been channelled.
Beside each farm, amid groves of maples, the pools of fountains are
bordered by carpets of fresh mint. Little by little, the villages have
been rebuilt. |
Il n'a fallu que les huit ans qui nous séparent de cette époque pour que tout le pays resplendisse de santé et d'aisance. Sur l'emplacement des ruines que j'avais vues en 1913, s'élèvent maintenant des fermes propres, bien crépies, qui dénotent une vie heureuse et confortable. Les vieilles sources, alimentées par les pluies et les neiges que retiennent les forêts, se sont remises à couler. (se remettre à) On en a canalisé les eaux. A côté de chaque ferme, dans des bosquets d'érables, les bassins des fontaines débordent sur des tapis de menthes fraîches. Les villages se sont reconstruits (rebuilt themselves) peu à peu. | It has taken only the eight years that separate us from that time for the whole country to blossom with health and ease. On the site of the ruins (that) I had seen in 1913 well-kept farms are now standing, neatly plastered (that) showing a happy and comfortable life. The old springs, fed by rain and snow that forests are (now) retaining, have once again begun to flow. They channeled their water. (the water of the springs) Beside each farm, amid (some) groves of maples, the pools of (the) fountains are overflowing on (some) carpets of fresh mint. The villages have been rebuilt little by little. |
Une population venue des plaines où la terre se vend cher s'est fixée dans le pays, y apportant de la jeunesse, du mouvement, de l'esprit d'aventure. On rencontre dans les chemins des hommes et des femmes bien nourris, des garçons et des filles qui savent rire et ont repris goût aux fêtes campagnardes. Si on compte l'ancienne population, méconnaissable depuis qu'elle vit avec douceur et les nouveaux venus, plus de dix mille personnes doivent leur bonheur à Elzéard Bouffier. | Yuppies have come from the plains, where land is expensive, bringing with them youth, movement, and a spirit of adventure. Walking along the roads you will meet men and women in full health, and boys and girls who know how to laugh, and who have regained the taste for the traditional rustic festivals. Counting both the previous inhabitants of the area, now unrecognizable from living in plenty, and the new arrivals, more than ten thousand persons owe their happiness to Elzéard Bouffier. |
Une population venue des plaines où la terre se vend cher s'est fixée dans le pays, (fixed itself) y apportant de la jeunesse, du mouvement, de l'esprit d'aventure. On rencontre dans les chemins des hommes et des femmes bien nourris, des garçons et des filles qui savent rire et ont repris goût aux fêtes campagnardes. Si on compte l'ancienne population, méconnaissable depuis qu'elle vit avec douceur (elle = population) et les nouveaux venus, plus de dix mille personnes doivent leur bonheur à Elzéard Bouffier. | A population coming from the plains, where (the) land is (sold) expensive, settled down in the area bringing there (to the place) (some) youth, (some) movement, some spirit of adventure. We encounter along the roads (some) men and (some) women well fed, (some) boys and (some) girls who know how to laugh, and have regained (the) taste for the rustic festivals. If we add up the previous population, unrecognizable since it is living in plenty, and the new comers, more than ten thousand persons owe their happiness to Elzéard Bouffier. |
Quand je réfléchis qu'un homme seul, réduit à ses simples ressources physiques et morales, a suffi pour faire surgir du désert ce pays de Canaan, je trouve que, malgré tout, la condition humaine est admirable. Mais, quand je fais le compte de tout ce qu'il a fallu de constance dans la grandeur d'âme et d'acharnement dans la générosité pour obtenir ce résultat, je suis pris d'un immense respect pour ce vieux paysan sans culture qui a su mener à bien cette oeuvre digne de Dieu. Elzéard Bouffier est mort paisiblement en 1947 à l'hospice de Banon. | When I consider
that a single man, relying only on his own simple physical and moral
resources, was able to transform a desert into this land of Canaan, I am
convinced that despite everything, the human condition is truly
admirable. But when I take into account the constancy, the greatness of
soul, and the selfless dedication that was needed to bring about this
transformation, I am filled with an immense respect for this old,
uncultured peasant who knew how to bring about a work worthy of God.
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Quand je réfléchis qu'un homme seul, réduit à ses simples ressources physiques et morales, a suffi pour faire surgir du désert ce pays de Canaan, je trouve que, malgré tout, la condition humaine est admirable. Mais, quand je fais le compte de tout ce qu'il a fallu de constance dans la grandeur d'âme et d'acharnement dans la générosité pour obtenir ce résultat, je suis pris d'un immense respect pour ce vieux paysan sans culture qui a su mener à bien cette oeuvre digne de Dieu. Elzéard Bouffier est mort paisiblement en 1947 à l'hospice de Banon. | When I consider that a single man, reduced to his own simple physical and moral resources, was sufficient to bring out of the desert this land of Canaan, I find that despite everything, the human condition is admirable. But when I take into account all that was needed in (terms of) constancy in the greatness of soul, and of determination in the selfless dedication in order to get this result, I am filled with an immense respect for this old, uneducated peasant who knew how to complete this work worthy of God. Elzéard Bouffier died peacefully in 1947 at the hospice of Banon. |